Mon ami m’appelle de Montréal. Il fera escale à Lafayette en route vers le Mexique. C’est parfait, car j’ai besoin de quelqu’un pour m’accompagner dans les marais de Bayou Teche. Dans presque toutes les directions depuis Lafayette, vous vous retrouverez dans un marécage.
Dès qu’il arrive, nous nous dirigeons vers un marais avant que la nuit ne tombe. Les arbres poussent hors de l’eau et leurs racines sont profondément ancrées dans le monde souterrain. L’eau est recouverte d’algues vert vif. Je ne vois pas ce qu’il y a en dessous. J’entends sans cesse le râle d’un alligator. C’est la chanson qu’ils chantent aux amoureux.
Quand je suis arrivé en Louisiane, je savais qu’il y avait des alligators, mais je ne pensais pas en rencontrer. Je pensais que ce serait comme aller au Canada et voir un ours. Je veux dire, j’ai vécu au Canada la majorité de ma vie et je n’ai jamais vu un ours, mais je peux quand même raisonnablement supposer que ce ne sont pas des êtres mythologiques. En revanche, ces alligators fictifs sont partout en Louisiane. J’ai lu que les alligators sont immortels. Ils ne meurent pas de causes naturelles. Ils ne peuvent qu’être assassinés, comme les vampires.
En marchant dans le marais, on a l’impression d’être observés. Et nous le sommes. Les racines du marais sont toutes interconnectées sous l’eau. Un petit champignon peut signaler à tout le marais que quelqu’un y est entré. Les insectes et les oiseaux commencent à nous parler. Lorsque nous nous parlons, ils arrêtent brusquement de parler et écoutent. Et puis, à mesure que nous nous enfonçons dans le marais, ils se mettent à crier.
Il y a un arbre entièrement couvert d’aigrettes blanches. J’ai l’impression de regarder un arbre chez moi dans le Nord, couvert de neige. Mon ami chante une ligne de chanson. Il y a un moment de silence, puis tous les oiseaux répondent en chantant.
« Le marais communique avec toi », je crie. « Nous devons partir. Le marais voudra nous garder. Tu n’aurais pas dû chanter comme ça dans le marais. »
Au bout du chemin, j’aperçois une silhouette. Elle est complètement noire et ressemble donc à une ombre. Elle ressemble à une chèvre noire à tête de lièvre. Elle reste absolument immobile, nous regarde, puis s’élance dans les arbres du marais.
Nous nous regardons. Lorsque nous voyons des créatures surnaturelles, au lieu de la terreur, il y a une partie de nous qui est enchantée et curieuse. Dans les films d’horreur, les spectateurs se demandent souvent pourquoi la famille ne quitte pas immédiatement la maison hantée. Mais je pense qu’il est plus réaliste qu’ils restent. Il y a quelque chose de surnaturel qui attire. C’est une curiosité, mais aussi une possibilité. Qui a envie de vivre dans un monde sans magie ? Toutes les choses auxquelles croyaient nos ancêtres, peuvent-elles vraiment être le fruit de l’imagination ?
Le soleil commence à se coucher rapidement. Les vampires et les morts commenceront à sortir du marais. Le marais est un musée de rêves anciens, de berceuses, de déclarations d’amour et des dernières paroles de soldats avec des balles dans le cœur. Il connaît les histoires des tribus autochtones qui sont passées par ici, il connaît les chants des esclaves d’Afrique de l’Ouest et il connaît les drôles de berceuses des Acadiens. Si je devais sortir un crapaud du marais, il pourrait probablement chanter une chanson acadienne.
« C’est le crépuscule ! », je crie. C’est à ce moment que le portail entre ce monde et l’autre monde s’ouvre dans les marais, d’autres créatures sombres surgiront. Un faon à tête de belle fille sortira sur la pointe des pieds des miasmes pour emmener mon ami.
Alors que nous quittons le marais, il crie qu’il veut retourner et enregistrer le chant des oiseaux et des insectes. Je m’assois dans la voiture et je l’attends. Il ressort dix minutes plus tard, le front en sueur.
« J’ai entendu quelqu’un chanter! », s’exclame-t-il. « C’était une mélodie française. Il y a des sorcières françaises dans le marais. »
*
Une langue n’existe pas isolément. Ce qui rend le Québec unique, ce n’est pas qu’il parle français. C’est sa culture qui le rend spécial et le distingue du reste de l’Amérique du Nord. Et c’est pareil à Lafayette. Comme les francophones de Lafayette adorent parler français, je suis tellement heureuse que nous ouvrions ce dialogue ! Et vous entendrez au Québec à quel point la langue française est vivante, mais vous verrez aussi comment elle a façonné notre culture, nos mœurs, notre politique et notre façon de faire la fête !