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Pour l'édition 2024 de la résidence croisée Lafayette-Montréal, Mélissa Bonin et Heather O'Neill ont eu l'opportunité de découvrir leurs cultures respectives pendant un mois. Avec ces lettres, les deux autrices proposent une fenêtre sur leur expériences, marquées par les arts et les différentes formes de francophonie.

Nous avons le plaisir de vous présenter la lettre et les croquis réalisés par Mélissa Bonin!

RCLM Lettre des autrices 6
Mélissa Bonin - Citation 1

COMMENT RAPPELER UN LANGAGE QUI S’EST ENFUI

La foudre et le feu se sont déchaînés
à travers le ciel noir, au carrefour
des fantômes et des arbres.

Cette nuit le langage s’est échappé
de son écurie, craignant d’être réduit
au silence des lieux secrets.

L’obscurité et les routes de poussière
l’ont dirigé vers les collines et les pâturages
où il pourrait se cacher parmi le sauvage
des choses, sans lois ni frontières.

Trouvez-le dans la maison de la sagesse.
Enlevez vos chaussures. Laissez vos orteils nus sentir
la terre et s’approcher du portail où le langage se cache.

Frappez, frappez, et continuez à frapper.
Finalement, les mots apparaîtront
et regarderont à l’extérieur pour voir
qui est là.

Ils vous permettront de vous en approcher.
Chaque poème est une cérémonie sacrée.
Ouvrez la porte avec grâce. Entrez et refermez-la.


Demandez la permission aux ancêtres de prendre
ses rênes.
Chuchote des sons doux comme, shé, shé, shé !
ou clic, clic, clic ! ou, venez, venez !
Si vous les chantez doucement,
ses oreilles se remettront à écouter.

Si vous les dessinez en symboles
dans la terre avec une tige séchée,
lentement ses yeux brilleront.

Si vous les peignez sur un rocher
avec de la boue rouge et un long brin d’herbe,
ou une plume, il va murmurer et secouer la tête.

Rassurez-le : ce n’est plus nécessaire de se taire.
Sous l’abri du respect,
vous êtes désormais, au point
où votre désir se lie au sien.
Enfin, vous pourrez ramener le langage de l’errance.

Montréal, le 9 novembre 2024

LE JARDIN AMORPHE

Si tes yeux sont éclairés par un ciel ambré
lors de la récolte de la canne à sucre,
suis sa lueur jusqu’au bord du bayou brun laiteux.
Claque tes deux talons et demande la permission de rejoindre
ses berges.

Glisse-toi entre l’oreille d’éléphant et l’iris violet sauvage,
les rêves de fille française et les cartes à jouer
sont rangés dans ta poche de jean usée.

Lève les yeux, les colibris volent sur le dos
d’une brise torride du golfe poussant
vers le sud pour t’accueillir
dans la grâce de septembre.

Prends ta place dans le jardin amorphe,
un lotus parmi les racines de cyprès noueuses.
Sache que tu fleuris le long du chemin des autres bottes saintes.

Attrape les cendres flottantes des champs enflammés.
Lisse-les entre tes doigts. Rappelle-toi, leurs histoires
sont creusées dans les rainures
profondes sur les murs de grottes anciennes.

Pendant un long moment, émerveille-toi
devant les sirènes d’eau et le bois flottant,
nymphes de rivière qui nagent et glissent
avec un œil ouvert.

Regards, les doigts du soleil écrivent
les mots orange fluorescent sur l’eau.
Sa calligraphie bouge comme une lumière vacillante
sur les ondulations et les vagues.
Tisse les messages à l’intérieur de la toison de ton cœur.

Cueille ta bénédiction en sortant.
Ferme les oreilles d’éléphant.
Scelle le chemin que tu as coupé
entre les feuilles et les branches abaissées.

Laisse le jardin intact.
Toi, l’ancêtre de demain, tu as les cartes en main.
Dorothy, Toto et Ulysse t’attendent chez toi.

LÀ OÙ LES TRÉSORS SE CACHENT

Juste après les deux dragons chinois géants
au centre-ville de Montréal,
se situe un Holiday Inn. Dans le hall, sur une toile
de soie collée au mur, un bouddha
observe les voyageurs.

Le restaurant de l’hôtel se courbe autour
d’une petite rivière de ciment
ornée de carreaux de céramique,
motifs de fleurs de lotus,
de lanternes et de lys.

Le bruit de l’eau de la fontaine rebondit
sur le plafond bas comme des gouttes
de pluie sur un toit de tôle.
Julie et Aleksandra cherchent les koïs.

Le serveur donne les menus aux jeunes dames,
il suggère un bon vin blanc, puis leur apporte
de la soupe avec des boulettes et du gyoza.
Merci monsieur !
La conversation est inspirante.

En Louisiane, ma grand-mère française
a donné à ses fils des noms forts anglais.
Waldo, William et Hudson auraient
de meilleures chances de réussir après
l’adoption de la loi interdisant l’usage du français.

À la fin du repas, Julie demande au serveur :
Comment vous appelez-vous ?
Patrice, répond-il.

Je sais que ton badge dit Patrice
mais, quel est ton nom ? Ton vrai nom ?
elle demande.

Il hésite, un peu confus.
Après une longue pause, son visage s’illumine.
Ming, dit-il, Ming. Tous les trois respirent,
le trésor trouvé.

Ensuite, Ming leur montre où se cachent les koïs.
Sous le bord du bassin carrelé,
les couleurs de plaquemines dorées scintillent,
leur vrai nom étant Nishikigoi.

Melissa Bonin Des fleurs de Clementine
Melissa Bonin Citation 2

HAIKU DE MONTRÉAL

L’ARRIVÉE
-
Je suis arrivée au temps
du croissant à la citrouille.
Montréal,
si New York et Paris avaient eu un enfant.
Là où les roses fleurissent même quand il fait
vingt-sept degrés.

Une loupe en anorak trotte silencieuse
parmi les maisons en briques rouge foncé
aux rebords de fenêtres noires.
-
Chanceuse,
la chauffeuse africaine d’Uber
m’a bénie en me laissant devant la porte.

Elle m’a raconté l’histoire de son arrivée
à Montréal sans un sou,
ni un endroit où dormir.
Elle est allée à l’université.
Sa vie était devenue belle.

Elle m’a dit de ne pas avoir peur,
de croire en moi-même,
que j’étais une femme forte.
Avec tous ses dons je me sentais capable de tout.
Elle m’avait donné la cape de Wonder Woman.

L’ANNIVERSAIRE
-
En me baladant le long du fleuve Saint-Laurent,
j’ai vu un loup sur le mur d’un bâtiment
et un gymnase en plein air sous un pont,
de belles photos en noir et blanc,
sur les panneaux, tous en rang,
et dans les champs d’un parc,
des voitures de train toutes habillées
en couleurs vives pleines d’images enchantées.
-
Pour mon anniversaire
j’achète des bottes d’hiver.
Chez Féline,
Élise et sa chienne Ruby
m’accueillent, bras et pattes ouverts.
-
Sur les balcons du Vieux-Port
des squelettes et des fantômes
sont suspendus
dans des cages à oiseaux.
-
Le musicien joue à son piano
électrique.
Les serveurs dans les restos
se déguisent.

Sorcières, policiers et pirates courent
partout
en donnant les Apérol Spritz aux touristes.
-
À Griffintown,
lorsque vous commandez
un blowout Chez Blunt,
il faut insister pour parler en français.
-
Ma première nuit à Griffintown
L’autobus nous approche
Quelque chose explose
Nous regardons autour
Le sang coule du bras de Yaël
Partout, du verre

AU MARCHÉ JEAN TALON

-

En cherchant l’huile d’olive,
par hasard, j’ai rencontré
un monsieur Cloutier
de l’université, qui m’a aidé.

Généreusement, il m’a offert la meilleure
bouteille tunisienne trouvée au marché.
À « Les Filles de Caleb », nous avons parlé,
dans la langue de ma grand-mère,
quelque chose que mes parents n’osaient
jamais faire dans les espaces publics.
C’était la loi louisianaise autour des années
1920-1960. Je me sentais revendiquer pour eux.
La blessure a été un peu guérie. J’en étais fière.

-

J’ai fait la connaissance du boucher Olivier.
Nous avons partagé les histoires au sujet du porc,
mon père ayant été aussi boucher.

-

Tout le monde ignore
la dame inconsolable qui criait
en voyant un homme voler
des biscuits du magasin Jean Coutu.
Elle appelle la police.
Les jeunes filles derrière les caisses ne font rien.

-

Je bouge, une Louisianaise à Montréal.
Une inconnue, dans les rues inconnues,
déterminée à sourire à tout le monde,
parce que dans ce pays
on ne sait jamais
qui peut être mon cousin inconnu.

Melissa Bonin citation 3

L'édition 2025 de la résidence croisée Lafayette-Montréal est en cours. Découvrez le programme de Jonathan Mayers, auteur et artiste visuel Louisianais.



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