Du roman Soifs (1995) à Augusti­no ou l’ illu­mi­na­tion, frag­ment posthume de ce qui aurait été le douz­ième livre (2022), le cycle Soifs de Marie-Claire Blais demeure inachevé. Mais si la mort de l’écrivaine en 2021 a mis un terme à l’écriture, l’inachèvement est d’emblée struc­turelle­ment inscrit dans ce vaste ensem­ble lit­téraire. Les romans qui le con­stituent accom­pa­g­nent l’actualité, dans une urgence inquiète où la fic­tion anticipe par­fois l’histoire. Soifs, exem­ple unique d’écriture en français des États-Unis con­tem­po­rains, se déploie comme le lamen­to de l’époque et donne à enten­dre l’« implo­ration muette et sans recours » des sans-voix de notre temps. Cet essai explore quelques-uns des procédés qui, de la ponc­tu­a­tion à la con­struc­tion des per­son­nages, de la mise en abyme de l’écriture à la saisie de l’événement, de la syn­taxe à l’architecture générale du cycle, assurent sa cohérence et sa cohé­sion, tout en main­tenant son inachève­ment et son ouver­ture. Dans une per­spec­tive soci­o­cri­tique, l’analyse s’attache à la fois à la poé­tique sin­gulière du cycle et à sa dimen­sion politique.